La vie extraordinaire d'une chanteuse normale.
21 Mai 2021
Ce matin-là, comme tous les matins, Morvan et moi étions face-à-face, autour de notre table de cuisine, à boire du café.
Il m’a dit :
- Tu fais quoi aujourd’hui ?
Je lui ai répondu, que ce matin, comme tous les matins depuis plus d’une semaine maintenant, j’allais transformer notre salon en salle de danse, j’allais m’échauffer, m’étirer, m’entraîner à chuter au sol en quatrième puis réviser les phrases chorégraphiques du spectacle « Le syndrome de Pénélope » pour les connaître par cœur en vue de la prochaine résidence de création qui allait avoir lieu début juillet.
Il m’a dit :
- Mais t’as changé de métier ?
La question était très bonne parce que la réponse l’était aussi.
Oui, depuis quelques semaines, on pouvait dire que j’avais changé de métier.
Je lui ai dit :
- Oui rappelle toi, j’ai changé de métier, je suis devenue danseuse. Tu te souviens ? Tu es venue pendant la résidence de création à Sarzeau et tu as fait des photos.
(Photos magnifiques, tellement magnifiques que l’une d’entre elles a été désignée comme futur affiche du dit spectacle de danse, mais à ce moment-là, nous l’ignorions encore).
Il m’a regardé et m’a dit :
- Ah oui c’est vrai ! Tout me revient.
Il n’était donc pas complètement amnésique.
Il ajouta :
- Et du coup, comme tu es danseuse maintenant, tu vas sûrement intégrer l’Opéra de Paris au mois de septembre ?
J’ai dit :
- Oui sans doute. À moins que j’aille plutôt chez Maurice Béjart, s’il n’est pas mort bien sûr.
(Il faudrait quand même que j’aille vérifier si Maurice Béjart est mort ou pas car c’est toujours mieux d’intégrer une équipe chorégraphique quand le chorégraphe n’est pas mort.)
Puis, à mon tour, en reprenant du café, alors que j’en avais un peu marre d’en boire, je lui ai demandé :
- Et toi tu fais quoi aujourd’hui ?
Il m’a répondu que ce matin comme tous les matins depuis plus d’une semaine, il allait s’installer devant son ordinateur pour dessiner des animaux dans le but de faire les vidéos animées qui allaient se retrouver prochainement diffusées sur scène pendant les concerts de comptines de Kikobert.
Je lui ai dit :
- Mais t’as changé de métier ?
Il m’a dit :
- Oui.
Et c’était vrai, après être devenu photographe renommé pour des résidences de création en danse contemporaine, il était devenu également, et ce depuis un bon paquet de jours, dessinateur d’animations. Il avait donc lui aussi changé de métier.
Sans préavis de quoi que ce soit, on avait tous les deux changé de métier.
Est-ce-que c’était dû à la situation sanitaire ?
Peut-être.
Est ce que c’était dû à la situation dans nos sanitaires (dont les bandes de joints, je vous le rappelle n’étaient ni faits ni à faire ( cf épisode : un clip et un matelas- partie 3)
Peut-être également.
Je lui ai dit :
- Tu te rends compte, on a tous les deux fait un changement professionnel.
Il m’a dit :
- Oui, t’as raison.
Mais l’expression « changement professionnel » ne me plaisait pas trop, je la trouvais un peu lourde et pas très fluide. J’étais persuadée qu’il existait un autre terme ou une autre expression plus agréable en bouche pour évoquer cet état de fait du changement professionnel.
J’ai alors demandé à Morvan :
- Comment dit-on de manière fluide quand, dans sa carrière, on fait un changement professionnel ? Qu’est-ce qu’on utilise comme expression ?
Il a réfléchi un instant et m’a répondu :
- Je crois qu’on appelle ça … (silence) … un changement professionnel.
Très bien.
A notre échelle et à ce moment-là dans notre cuisine, il n’existait donc que le terme « changement professionnel pour évoquer « le changement professionnel ».
Mais peut-être qu’à l’échelle mondiale, il existait d’autres termes.
Nous ne sommes pas allés plus loin dans nos échanges verbaux ce matin-là car j’avais un entraînement de danse à faire dans le salon et lui devait dessiner de la pluie, des vers de terre, et des kangourous dans son ordinateur.
J’ai alors posé ma tasse de café et je suis allée mettre mon jogging de danse qui est également mon pyjama car je suis minimaliste et j’ai de moins en moins de possession.
J’ai ensuite, et avant de démarrer mes exercices corporaux, passé l’aspirateur sur la totalité du parquet du salon car comme je fais désormais de la danse contemporaine, il y a toujours un moment dans mon entraînement où je me roule par terre.
J’ai branché mon ordinateur sur la télé, et j’ai choisi un entraînement vidéo. J’ai mis le son très fort pour m’immerger dans l’univers de la danse contemporaine et j’ai commencé.
Au bout d’une demi-heure, Morvan a fait irruption dans le salon et m’a dit :
- Mais qui est-ce qui braille dans le salon ?
Je lui ai dit :
- Bah, c’est Hervé Maigret et il ne braille pas, il compte.
Et en effet, dans ma télé Hervé comptait et moi sur le parquet, on peut dire que j’en chiais.
J’avais choisi pour m’échauffer un des nombreux entraînements vidéos qu’Hervé met en ligne. Il les fait en direct, mais les laisse ensuite sur internet ce qui permet à quiconque de les suivre n’importe quand.
C’est très pratique. Et moi, je mets ça très fort dans le salon.
Rassuré sur l’identité de la personne qui comptait dans notre salon alors que précisément j’y étais toute seule, Morvan repartit dessiner dans son bureau en OSB3.
A 11h30, toujours dans mon salon, mon téléphone se mit à sonner.
Répondre allait interrompre mon entraînement mais me donnerait l’occasion de faire une petite pause bien méritée car la série de sauts que je venais de faire sous le regard vidéo d’Hervé Maigret m’avait littéralement brûlé les mollets.
J’attrapai donc mon téléphone et m’écroulai suante dans la méridienne.
Au bout du fil, c’était une copine danseuse professionnelle. Elle danse dans une autre compagnie mais je l’aime bien quand même.
Elle m’appelait pour qu’on se parle car elle souhaitait se lancer dans l’apprentissage de la langue des signes.
Elle voulait donc savoir par où j’étais passée à l’époque où j’apprenais moi-même cette langue.
Apprendre la langue des signes, mais quelle merveilleuse idée elle avait là !!!
Mais bon, elle, jusqu’à preuve du contraire, elle était danseuse.
Et là, elle voulait se mettre à la langue de signes ….?
Est ce qu’elle n’était pas elle aussi en train de faire ce qu’on appelle communément dans notre cuisine un changement professionnel ….?
Mon dieu !
Mais qu’est ce qu’il nous arrivait à tous …?
On faisait tous les uns après les autres des changements professionnels voire des changements professionnaux (oui, je sais, professionnaux, ça ne se dit pas vraiment, mais je fais ce que je veux, je suis toute seule à écrire dans mon bureau).
Au coeur de cette situation inédite, on était tous en train de réfléchir sur nous-même. On changeait de direction, on tournait des pages, on voguait vers de nouveaux horizons.
On marchait sur la tête et moi je dansais dans le salon.
Le monde avait changé, nos carrières aussi et on n’avait rien vu venir.
Enfin, si, j’exagère, depuis un an, nous étions interdits de spectacle, on avait donc eu le temps de voir venir tranquillement les changements professionnels et les changements professionnaux.
Mais jusqu’où tout cela allait-il nous mener ?
Je n’en savais strictement rien.
Tout ce que je savais, c’est que pour l’instant, cela m’avait simplement mené tout droit dans mon salon.
J’ai alors raconté à ma copine danseuse tout mon parcours d’apprentissage de la langue des signes, ça m’a permis de me replonger dans mon passé et cela m’a rappelé qu’à une époque, je montais sur scène pour chanter en français et en langue des signes.
C'était l'époque où on jouait l'Alliance dans des salles de spectacle. A cette époque je transpirais en public, je chantais fort dans mon micro HF, je buvais de la ricoré dans des loges plus ou moins bien rangées, je me faisais des bleus en tombant pendant ma chorégraphie de "Sauvage", je gagnais convenablement ma vie tout en me plaignant, je passais du temps dans le camion de tournée et j’aimais bien cette époque.
J’espère qu’elle reviendra bientôt, cette époque, ou du moins qu’on entrera bientôt dans une autre époque où on peut remonter sur scène pour chanter, pour danser, pour diffuser des clips en animation pendant un spectacle pour enfants, pour faire de la langue des signes dans un concert bilingue, pour gagner sa vie et pour faire toutes les choses qu’on fait habituellement sur scène.
D’ici à ce que nous arrivions péniblement à cette époque, je vous embrasse, Morvan non, il est occupé à dessiner dans son ordinateur et moi, je vais maintenant lâcher mon propre ordinateur pour retourner danser dans mon salon.
La première du « Syndrome de Pénélope » aura lieu à Bouguenais le 1er Octobre 2021 (ou le 2, c’est pas hyper clair dans mon google agenda …), et si cela devait être annulé pour cause de problèmes dans les sanitaires, il se peut que je pleure.
C’est parce que je suis sensible et c’est aussi parce que je suis très investie dans cette nouvelle création.
A très bientôt !
Liz