La vie extraordinaire d'une chanteuse normale.
30 Janvier 2018
Tournée laboratoire : 5 ème concert
(Centre Maternel Saint Luc)
L'histoire de ce concert a démarré autour d'un barbecue l'année dernière.
Et oui, ça peut arriver.
La côtelette grillée peut engendrer le concert.
Ce soir là, à cette fête, je ne connaissais pas grand monde, je regardais et j'écoutais beaucoup, comme je le fais habituellement en société.
Et puis, j'ai commencé à discuter avec cette femme. Elle travaillait pour la Croix Rouge dans un centre où vivaient des femmes seules avec leurs bébés.
Elle me racontait tout ça, leurs situations, leurs difficultés et leurs positions à mille lieux de toute proposition culturelle.
Et puis, sans trop y croire, en rigolant, elle a lancé comme ça :
- Ah, ce serait bien si on pouvait avoir Liz Cherhal en concert au centre maternel.
Ah, ah, ah! La bonne blague. Liz Cherhal en concert au centre maternel.
Qu'est-ce qu'on rit !
Pourquoi pas jouer dans la cantine tant qu'on y est !
Ah! Ah! Ah!
Et elle rigolait de plus belle ( c'était globalement une femme pétillante et joyeuse qui riait beaucoup).
Je lui ai bien coupé la chique quand je lui ai dit :
- Bah, figure toi que c'est possible!
Blanc.
Puis rires.
(Ah, ah, ah!)
Mais en fait c'était vraiment possible, avant ça ne l'aurait pas été, plus tard, ça aurait été compliqué, mais ce soir là, autour du barbecue, c'était possible.
Enfin, entendons nous bien, ce n'est pas jouer autour du barbecue qui était possible, mais bien d'aller jouer au centre maternelle.
En effet, à cette période, (l'été dernier en l'occurrence) Lionel, mon booker (celui monte les tournées, celui qui book les dates, de l'anglais to book - booked- booked : réserver), bref, Lionel, mon booker, et Nicolas, mon manager, étaient en pleine mission "montage de la tournée laboratoire" (à savoir booker 10 dates en duo dans des petits lieux pour jouer les 11 titres de mon prochain album).
Je savais que je n'aurai donc aucun mal à glisser dans cette tournée une petite date caritative au centre maternel.
J'ai donc pris la carte de cette femme pétillante et joyeuse en lui promettant de la recontacter très prochainement.
On a trinqué, on a rigolé et la soirée a suivi son cours.
Quatre mois, 25 mails et 3 coups de fils plus tard, nous avons franchi, Nicolas, Morvan et moi, la porte vitrée et automatique du centre maternel Saint Luc avec tout notre barouf : instruments, sono, micros, ordinateurs, et le centre de pilotage automatique de Morvan.
Tout ce bazar dans un café-concert, ça passe, mais dans une cantine de la croix rouge, ça dénotait un peu.
Il était 13h, le concert était prévu à 15h.
Fallait pas traîner pour tout installer et démarrer à l'heure.
Quelques femmes finissaient de déjeuner avec leurs enfants, c'était mignon.
Quand elles ont eu fini leurs dernières frites, on a commencé à bouger les tables.
Le chef restaurateur est venu nous voir,
- euh, vous n'allez pas vous installer maintenant, faut que je fasse le ménage. Si vous vous installez une demie heure avant de jouer, c'est bon, non ?
Euh ... Mince ... Comment lui dire ...?
Comment lui faire comprendre d'un sourire ...?
Je lui ai expliqué qu'une demie heure pour tout monter ce n'était vraiment pas suffisant et que si on était arrivés deux heures avant de jouer, c'est qu'en fait, on avait réellement besoin de deux heures.
Il a eu l'air de comprendre notre réalité, et il nous a dit qu'il ferait le ménage plus tard.
À circonstances exceptionnelles, bouleversement du planning exceptionnel.
Je l'ai remercié et on a commencé à monter.
Il y avait des frites par terre, par ci par là. Mais c'était pas très grave.
À 14h45, on avait fini de monter, et les gens ont commencé à entrer.
Et très sincèrement, ce public était totalement inédit.
Il y avait donc face à nous de jeunes mères avec des bébés et des petits enfants dans des poussettes et des transats.
Déjà, avoir ça en face de nous, c'était sacrément étonnant, mais avaient également été conviés au concert les voisins du centre maternelle, à savoir les pensionnaires d'un centre d'accueil pour personnes âgées.
Il y avait donc, au milieu de ce public inédit de femmes et de bébés une petite brochette de personnes âgées.
Foi de chanteuse, je n'avais jamais joué devant un public aussi hétéroclite!
Le plus jeune spectateur avait trois semaines et le plus vieux (enfin, la plus vieille en l'occurrence) avoisinait les 90 (ans, pas semaines).
J'avais envie de prendre une photo de tout ce petit monde pour m'en souvenir quand je serai vieille mais j'avais peur que ça les gêne alors je ne l'ai pas fait.
Et on a démarré.
C'était un concert comme d'habitude, à la différence près qu'on jouait pas fort du tout.
Mais vraiment pas fort du tout.
On entendait très distinctement le bruit métallique du médiator de Morvan qui grattait sur les cordes de sa guitare électrique. Normalement, on ne l'entend jamais ce son, car il est très largement couvert par le son de l'ampli, mais là, on l'entendait, ce qui souligne le bel effort qu'a fait Morvan, ce jour là, en jouant aussi peu fort.
Pendant la première chanson j'ai aperçu la femme pétillante et joyeuse.
Et curieusement, appuyée contre un des poteaux de la salle, elle pleurait.
Je me suis dit, c'est pas possible, cette tournée laboratoire c'est vraiment la tournée des larmes (voir compte rendu du concert numéro 3).
Mais j'ai vite compris qu'il ne s'agissait pas des mêmes larmes car elle, elle pleurait en souriant.
Et je crois savoir pourquoi elle pleurait. (attention ce qui suit est mon interprétation strictement personnelle, si ça se trouve, je me goure complètement).
Ce projet de concert au centre maternelle était né dans sa tête des mois auparavant, et de simple idée, ce projet était passé au stade réalité, réalité qui était en train de se dérouler juste devant ses yeux.
Et les projets qui se réalisent devant nos propres yeux, je pense que ça, ça peut faire pleurer en souriant.
C'est ce que je crois en tout cas.
Le concert s'est ensuite déroulé quasi normalement.
À un moment, une petite fille du premier rang a lancé son doudou sur le pédalier de Morvan (sans conséquence grave). Peu de temps après, son petit voisin a fait un lâché de tétine à mes pieds.
À la fin de la chanson "Volontaire", un femme âgée a dit très fort.
- C'est formidable !
Et je savais qu'elle savait de quoi je parlais dans cette chanson.
Après le concert, on est restés discuter avec tout le monde. Des femmes avaient fait des gâteaux et Morvan buvait du jus d'orange.
Et puis on a démonté tout ce qu'on avait monté, on a tout rangé dans la voiture, on a dit au revoir à tout le monde, la femme pétillante et joyeuse nous a remerciés mille fois, et on est partis.
On s'est dépêchés de rentrer parce que c'était notre dernière soirée ici, avec nos enfants respectifs avant la tournée Martiniquaise.
Sur la route du retour, avec Morvan et Nico, on s'est dit que cette semaine, entre le concert de soutien à Fip et celui ci, on n'avait pas vraiment gagné notre vie mais, qu'à défaut de l'avoir gagnée, notre vie, on l'avait vécue, et surtout, on l'avait rendue un peu plus utile que la veille.
Et c'était déjà ça.
Je vous embrasse,
Liz