Habituellement quand je dis “aujourd’hui, je fais une radio”, je vais dans un studio de radio, on me pose des questions, on écoute quelques unes de mes chansons, et je parle dans un micro.
Jusqu’à aujourd’hui c’était ça qu’il se passait quand je disais “je fais une radio”.
Mais ce matin, au réveil quand j’ai dit à Morvan-mon-mari “aujourd’hui, je fais une radio”, nous savions tous les deux qu’il ne serait absolument pas question lors de cette radio de répondre à des questions, d’écouter des chansons ou de parler dans un micro.
Non, cette fois cette radio allait consister à aller regarder dans quel sens évoluait mon rachis.
Pour ma part, j'espérais vivement qu'il allait de l'avant mais je n'en savais rien.
Pour cette radio, Morvan m’a proposé de m’accompagner.
J’ai refusé.
Vu le temps qu’il avait déjà passé et qu’il passe encore quotidiennement à s’occuper de moi, de notre maison, de la totalité de nos ados (même de celui dont il n’est pas le responsable légal), des affaires d’assurances, d’expertises et de la recherche d’un nouveau véhicule puisque la Prat-Mobile a été détruite dans l’accident, j’avais bien envie de lui épargner ce rendez-vous potentiellement chronophage afin qu’il puisse consacrer un peu de son temps à faire diminuer la pile de choses professionnelles qu'il avait à faire qui augmentait de jour en jour sur son bureau en osb3 et sur le bureau virtuel de son ordinateur.
Je savais que je n’avais que 6 mots à dire pour qu’il vienne avec moi.
Ces mots c’était :
- Tu veux bien venir avec moi ?
Mais je choisis, ce matin-là, de ne pas les prononcer et de le laisser travailler.
C’est donc seule que j’y suis allée et à pied.
Je vis, du verbe vivre, tout près d'un hôpital.
Jusqu'alors ça ne me servait à rien. Mais ceci a bien changé, il y a trois semaines, jour pour jour.
Sur le chemin, en marchant, j’écoutais ABBA.
Et comme ce sont des Suédois, par extension de cerveau, en marchant, je pensais à mon amie Charlotta.
Je pensais notamment à cette journée, datant d'il y a quelques mois, que nous avions passée ensemble à danser devant la caméra de François Guillement pour le clip de "Fausse couche, vrai sang".
Je serai bien en peine aujourd'hui de danser pareillement ....
Comme j’avais peur d’aller faire cette radio, enfin, pas vraiment peur de la radio en elle-même mais plutôt du résultat de la radio, par anticipation, j’ai pleuré toute seule en écoutant Abba, en marchant mollement dans les rues de Rezé.
(Je ne compte plus désormais le nombre de personnes qui m’ont croisée alors que je marchais en pleurant dans les rues de Rezé, pleurer est depuis quelques jours ma nouvelle activité).
Arrivée au secrétariat, on m’a posé des questions, sur mon nom, mon âge, mon adresse, ma profession.
J’ai dit :
- Chanteuse
La personne du secrétariat m’a regardé et a dit :
- Chanteuse ? Ah bah chanter, ça nous détendrait !
Je l’ai regardée et je lui ai répondu :
- Moi aussi, ça me détendrait.
Pleine de doutes, elle a dit :
- Vous êtes chanteuse ?
J’ai dit :
- Oui.
Elle a fait un arrêt sur image pour vraiment me regarder.
J’ai bien vu qu’elle essayait de potentiellement me reconnaître.
Mais avec mon écharpe, ma minerve, ma capuche sur la tête, mon masque FFP2 obligatoire sur le visage et le fait qu'il faut bien l'admettre, je ne suis pas une chanteuse mondialement connue, et bien, elle ne m’a absolument pas reconnue. Mon visage emmitouflé ne lui disait absolument rien.
Et j’ai bien vu qu’elle était déçue.
Je crois qu’elle aurait bien aimé rentrer chez elle, ce soir, en disant : Vous savez quoi, aujourd’hui, en consultation j’ai accueilli Lady Gaga.
Mais elle n'allait pas pouvoir dire ça, car la chanteuse au secrétariat ce jour-là, ce n’était que moi et elle ne me connaissait pas.
Elle m’a dit :
- Alors vous allez pouvoir chanter quelque chose pour les gens qui attendent en salle d'attente.
Je lui répondis que j’aurai bien aimé gratifier les attendants de quelques chants mais que vu mon état ça n’allait pas être possible malheureusement.
Ajoutons à ça que j’étais en arrêt de travail depuis 3 semaines et que, qui dit arrêt de travail, dit évidemment interdiction de faire son travail.
Donc pas question pour moi de chanter quoi que ce soit.
Elle me dit,
- Vous avez des papiers à me donner ?
J’en avais plein.
Depuis trois semaines, où que j’aille, j’ai toujours avec moi un classeur bleu dans lequel je regroupe tous les papiers que l’on me donne et que l’on m’envoie.
Dans mon classeur, il y a des ordonnances pour des anti-douleurs et autres somnifères, mon premier arrêt de travail, des certificats médicaux concernant mon fils et moi, un compte rendu de scanner, mon deuxième arrêt de travail, une déclaration d’accident pour la sécurité sociale, une déclaration d’accident pour l’assurance, un constat, la place pour mon troisième arrêt de travail, un numéro de procès verbal, une déclaration de dommages corporels, des factures de consultations de psy et d’hypnothérapeute, un listing de mes dates annulées … et que sais-je encore….
Le dernier papier qui a tout dernièrement fait son apparition dans le classeur bleu est un papier de l’expert automobile, reçu il y a quelques jours, qui nous annonçait que les réparations concernant la Prat-Mobile, si toutefois il nous prenait l’envie incompréhensible de faire réparer cette épave, s’élèveraient à 31 867,30 euros.
Oui, 31 867,30 euros..
Non, il n’y a pas de fautes de frappe, j’ai vraiment écrit 31 867,30 euros car c'est vraiment ce qui était écrit sur le papier de l'expert.
À mon sens, ce montant n’a pas de sens.
Mais c’est ainsi.
Actuellement, c'est toute ma vie qui n'a pas de sens.
Sur le comptoir, j’ai sorti mon fameux classeur bleu et j’ai donné à la personne du secrétariat tous les documents qui éventuellement pouvaient lui permettre de faire son travail.
Et puis je suis allée m'asseoir pour attendre le médecin.
Pendant un long moment.
Au bout d’une heure et demie d’attente comme j’avais déjà lu trois fois le magazine de la Loire-Atlantique sur le bien vieillir, j’ai eu envie de me lever, d’aller voir la personne du secrétariat et de lui dire :
- Bon c’est quand mon tour ? J’ai pas que ça à foutre.
Mais comme en réalité, je n’avais que ça à foutre, puisque j'étais en arrêt de travail, je suis restée assise et j’ai continué d'attendre mon tour en re-feuilletant le magazine de la Loire-Atlantique.
Au bout d’un moment indéterminé, j’ai vu le médecin.
Il m’a regardé, il a touché mon cou, j’ai bien dit mon cou.
Il m’a dit plein de choses, je n’ai pas tout compris, c’était confus et assez compliqué, alors en réaction, j’ai pleuré, ma nouvelle activité.
Il m’a dit :
- C’est le contrecoup.
Dans un contexte habituel, j'aurais tout de suite fait une blague avec cou et contre-coup, mais là, la blague ne venait absolument pas.
J'étais vide.
Il m’a envoyée faire une radio puis je suis retournée dans la salle d’attente pour attendre de lui reparler une fois la radio effectuée.
Et dans la salle d’attente, comme j’ai repensé à tout ce qu’il m’avait dit, par habitude, j’ai re-pleuré.
La femme assise en face de moi me regardait avec compassion.
J’avais envie de lui dire :
- Ne vous inquiétez pas, ça va aller, tout ceci est en réalité sans gravité et va naturellement se détendre et se consolider. Il faut juste du temps et je pleure juste parce que là, c’est un peu compliqué, je pleure parce que pleurer, en ce moment, c’est mon activité.
Mais je n’ai rien dit car le médecin est arrivé, il m’a donné la marche à suivre pour les mois à venir et m’a dit de passer au secrétariat pour payer et récupérer d’autres papiers.
Mon classeur bleu allait s’épaissir encore un peu.
En effet, la personne du secrétariat m’a tendu plusieurs papiers dont une ordonnance pour des séances de kiné afin de dé-rigidifier mon rachis entorsé.
Puis, alors que, pour parler, je lui disais que j’avais également le sternum fracturé, elle m’a dit, en toute innocence, et vraiment, sincèrement, je pense qu’elle n’a pas mesuré la portée de ses mots :
- Le sternum cassé ? Ah bah vous êtes pas près de re-chanter.
Blam !
Non, vraiment, je pense que ladite personne, n’a pas trop mesuré …
Dans un tout autre registre, cela m’a fait penser à ce que je dis à Morvan quand un de nos ados décide gentiment de préparer le repas et que visiblement cela va prendre beaucoup de temps.
Je répète plusieurs fois, égrainées dans le temps, mais toujours en souriant.
- On n’est pas près de manger :)
On n'est pas près de manger ... je ne suis pas près de chanter.
Je ne suis actuellement, ni près de manger, ni près de chanter …
Ainsi s’est terminée ma journée.
Tout est bien qui finit bien sauf les honoraires du médecin qui pratique les honoraires libres et je ne le savais point.
Je vais m’en retourner à ma nouvelle activité.
Je vous embrasse
Lise Prat-Cherhal