18 Mai 2025
Cela faisait un bon moment, déjà, que je ne travaillais plus, que je ne travaillais pas.
Non pas parce que je ne le voulais plus ou que je ne le voulais pas, mais simplement parce que le corps et le mental ne suivaient plus, ne suivaient pas.
Pourtant, personnellement et méticuleusement, je suivais, convaincue, de très nombreux traitements. Je les suivais mais jamais ils ne me permettaient de rattraper celle que je fus, celle que j’étais.
Celle qui aurait dû début 2025, remonter flamboyante sur le devant de la scène. Tout était planifié. La résidence, l’équipe, les dates de première, et puis un Avignon pour monter la tournée. Mais rien ne s’est passé. Au début de l’automne mon AVS a pris le téléphone pour joindre mon producteur. Il lui a expliqué que je n’étais pas en mesure de faire le travail que l’on m’avait confié et qu’il allait falloir tout annuler.
Mon producteur a écouté de son mieux et a compris les enjeux.
Il a dit à mon AVS :
- L’important c’est qu’elle aille mieux.
Il a été compréhensif.
Je pense qu’il a eu raison. Que j’aille mieux, c’est important, mais pour aller mieux, faut du temps.
Pendant des mois et des mois je n’ai plus fait parler de moi.
Un matin, toujours aussi inactive et alors que je voyais arriver ma fin de droits à grands pas, j’ai reçu de Pôle emploi, une convocation. Pardon, de France travail, Pôle emploi n’existe plus, Pôle emploi n’existe pas.
Mais que me voulaient-ils ? Ils avaient probablement remarqué que je ne déclarais plus aucune activité. Ils devaient s’inquiéter. Cette convocation, c’était certainement pour prendre de mes nouvelles, je trouvais que c’était là une charmante attention.
Arrivée dans le hall d’accueil, le nouvel uniforme des conseillers m’a tout de suite interpellée.
Croyez-le ou non mais désormais à France Travail, les conseillers à l’accueil portent tous des vestes faites de bleu de travail. Cela crée une ambiance toute particulière où on ne sait si on a affaire à nos conseillers habituels ou à des ouvriers en train d’œuvrer sur un chantier.
J'imagine aisément la réunion interne où un styliste très inspiré a proposé de déguiser ces employés de bureau en ouvriers.
- Mais quelle merveilleuse idée !
- Ici à France Travail, si on vous reçoit en bleu de travail, on va vous trouver du travail.
Mais malheureusement, l'habit ne fait pas le moine, et la veste d'ouvrier n'a jamais contribué à réduire l'inactivité.
Une conseillère m’a reçue, elle me fit remarquer que cela commençait à faire longtemps que je n’avais pas travaillé. Merci, j’avais remarqué.
Alors, je lui ai tout expliqué. La dépression, l’accident, les diverses annulations pour incapacité de chanteuse et mon global épuisement.
Elle m’informa de l’existence des droits dits rechargeables, mais je savais qu’en tant qu’intermittent du spectacle, je n’avais absolument pas droit à ces droits justement.
Je l’ai stoppée dans son élan. Je lui ai dit :
- Oui, je connais les droits rechargeables, mais je n’y ai pas droit car je relève des annexes 8 et 10.
- Les quoi ?
- Les annexes 8 et 10.
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
À cet instant, ma sidération n’eut d’égal que mon découragement. On m’avait orientée vers une conseillère qui ne connaissait absolument pas la spécificité du statut des intermittents. J’étais vraiment bien tombée. Mauvais karma, mauvaise journée, encore une fois, visiblement. Pour elle, comme pour moi, le temps était perdu et on ne le rattraperait plus.
Mais puisque j’étais là, j’ai pris quelques instants pour la faire avancer dans la pratique de son métier. Je lui ai calmement expliqué en quoi consistait les annexes 8 et 10 autrement dit le statut d’intermittent, qui était pour elle, un terrain encore inconnu, une terre inexploitée. Elle était bien embêtée avec tout ce que je venais de lui raconter. Elle n'avait aucune solution et aucun emploi à me proposer. Et parce que le rendez-vous devait bientôt s’arrêter, elle eut tout de même l’idée de me proposer, mais il fallait que ça m’aille, de revenir le mois prochain pour rencontrer, en entretien, un psychologue du travail.
Oui c’était une bonne idée au vu de ma situation mais je ne pus m’empêcher de penser que ce serait plus adapté qu’on m’organise un aiguillage vers un psychologue du chômage.
De toute façon à France Travail tous les chômeurs vous le diront, il n’est jamais de bon ton de refuser une de de leurs propositions. Cela peut avoir des conséquences très dommageables.
Ainsi je me suis rendue à cette nouvelle convocation en me disant c’est certain, cela ne va servir à rien.
Le rendez-vous a démarré par un rappel du psychologue au sujet de sa profession et de la confidentialité qu’il se devait de préserver. Rien de ce que nous échangerons ne sortira de son bureau. Je ne peux donc rien révéler de ce qui s’y est échangé.
Contrairement à ce que je pensais, ce rendez-vous fut fructueux, même si j’y ai beaucoup pleuré, et si j’ai mis sous ses yeux l’état des lieux de ma carrière à l’arrêt.
À l’arrêt depuis plusieurs mois, est-ce que l’arrêt va s’arrêter ? Je croise les doigts...
Lise Prat-Cherhal