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La vie extraordinaire d'une chanteuse normale.

LE BLOG DE LISE PRAT-CHERHAL

J'ai failli commencer mon roman

Ce jour-là, je m’étais enfin décidée : j’allais commencer à écrire mon roman. 

Confinement, ou pas confinement, je ne pouvais plus passer mon temps sur mon balcon, à regarder pousser mes graines dans des pots moches ou à dormir des heures durant sous ma couverture pondérée. 

Non, il fallait que je me mette à l’œuvre. 

C’était maintenant ! 

Il fallait que j’écrive ce putain de bouquin qu’on me réclamait depuis des mois. 

Je me suis donc installée sur mon balcon avec mon ordinateur portable, un petit macbook qui m’avait coûté à peu près l’équivalent d’un mois de revenus. 

Enfin, de revenus à l’époque où il m’était encore possible de travailler dans ma branche, ce qui n’était plus le cas aujourd’hui. 

Vous dire si cet ordinateur était précieux pour moi. 

Je me suis donc installée sur cette table et j’ai ouvert mon ordinateur. 

Mon ordinateur m’a demandé si j’étais bien moi. 

En guise de réponse, j’ai collé mon index sur un pad situé sur le clavier. 

J’étais bien moi. (Contrairement à la personne qui se fait passer pour moi sur Instagram et qui n’est absolument pas moi). 

Grâce à mon doigt, l’ordinateur s’est déverrouillé. 

Je pouvais commencer mon roman. 

J’écrivis sur un document libre office : Mon roman Mai 2020. 

C’était un bon début. 

J’ai ensuite patienté quelques minutes. 

Comme je n’avais pas d’idées pour la suite, je décidai de faire une pause. 

Je fis du café dans ma toute nouvelle-vieille cafetière (nouvelle parce que je l’ai achetée il y a peu de temps,  et vieille parce que je l’ai achetée dans une ressourcerie), et je me suis mise à attendre que le café se fasse de lui-même. 

En attendant cela, je fis défiler le fil d’actualité d’un réseau social, facebook, pour le nommer. 

Alors que je voyais défiler des articles dont la lecture était pour moi de la plus haute nécessité, je vis un message déchirant de mon ami Philippe. 

Philippe est un très vieil ami. 

Pas parce qu’il est vieux, même si, le temps passant, comme moi, il l’est de plus en plus, mais parce qu’il fait partie des personnes hors famille que je connais depuis le plus grand nombre d’années. 

Philippe, je le connais depuis une vingtaine d’années. Je le vois désormais très peu, mais quand je compte mes amis sur mes doigts, il est évident qu’il est un des doigts. 

L’index, le majeur … le pouce … je ne sais pas. 

Peut être que lui vous le dira. 

Son message disait à peu près la chose suivante : confiné seul à Nantes, il était inquiet à cause du fait que le port du masque allait bientôt être obligatoire et qu’il n’en avait pas. 

Il disait également qu’il avait détruit une de ses propres chemises pour essayer d’en fabriquer un, qu’il avait échoué dans sa fabrication et que ça lui avait fait couler quelques larmes. 

Il demandait donc par l’intermédiaire du réseau social si quelqu’un pouvait lui fabriquer quelques masques. 

Personnellement, je ne suis pas très douée en amitié, car je ne pense jamais à téléphoner, mais par contre, en couture, je suis plutôt un bon élément. 

Je lui répondis donc, toujours par l’intermédiaire du réseau, que je me portais volontaire pour lui confectionner deux masques. 

Deux masques, ceci me prendrait une bonne partie de la journée, il fallait donc que je remette à plus tard mon projet d’écriture de roman. 

C’était fâcheux, car mon roman, c’était aujourd’hui que je devais le démarrer, et aujourd’hui, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas demain. 
Mais bon, mon ami que je vois rarement, que je ne verrai ni aujourd’hui, ni demain, avait besoin de moi. 

Il fallait que je lui fasse ces masques. Je n’avais pas le choix. 

Je décidai donc de reporter mon projet de démarrage de roman à plus tard, pour m’engager de plain-pied dans mon projet de confection de masque. 

Je décidai donc de fermer pour aujourd’hui mon bureau improvisé sur mon balcon pour rejoindre mon atelier couture qui était dans mon salon. Mon salon qui était également ma cuisine, qui était également mon studio d’enregistrement, qui était également mon pôle administratif, qui était également une succursale du collège public depuis un mois et le tout dans une pièce de 29,44 mètres carrés ce qui faisait que souvent, des activités différentes s’y chevauchaient physiquement. 

Pour commencer mon entreprise, je fis rapidement un état des lieux du stock de fournitures nécessaires à mon projet. J’avais des chutes de tissus, du fil et une putain de machine à coudre électronique que j’avais commandée sur internet au tout début du confinement sous l’influence de mon coloc et de quelques bières, à l’époque où j’en buvais encore (mais ceci est un tout autre sujet sur lequel je reviendrai plus tard). 

A l’issue de mon inventaire, je sus qu’il ne me manquait pour mener mon projet à son terme que des élastiques. 

Des élastiques qui permettraient à Philippe de faire tenir les masques sur son visage, ce qui est le minimum de ce qu’on peut espérer et attendre d’un masque lavable en tissu. 

Je n’avais donc plus d’élastiques. C’était fâcheux. C’était hyper fâcheux car je ne pouvais pas reporter mon projet. Le reporter c’était pousser Philippe vers une mort certaine. Inéluctablement. 

Et ça, même si son âge était avancé, je ne pouvais pas m’y résoudre. 

Je ne pourrais pas vivre avec le poids de la culpabilité de sa mort sur mes épaules. 

C’était tout simplement impossible. 

Il fallait que je trouve des élastiques. 

Par la porte, ou par la fenêtre. 

Je choisis la porte. 

Et je la franchis pour aller dans le seul endroit où nous avions le droit de nous rendre en ces temps de confinement : le supermarché.

Je sortis donc par la porte d’entrée. 

Arrivée sur mon palier, j’eus de suite une sensation extrêmement bizarre. 

Quelque chose avait changé. 

Mon palier avait changé. 

Ce changement me donnait presque l’impression de ne pas être sur le bon palier. 

Je me surpris même à douter de moi-même.

Peut-être n’étais-je tout simplement pas sur mon palier ... ? 

Je me suis alors demandé si cette sensation étrange était due à un de mes nombreux craquages ou si j’avais réellement atterri sans m’en rendre compte sur un autre palier ..? 

Un autre palier ? 

Mais comment cela était il possible ? 

N’étais-je pas en train de tourner folle ? 

Se tromper de palier quand on vient de l’extérieur, de la rue par exemple, et qu’on rentre chez soi, ça peut arriver. 

Ça m’est même arrivé plusieurs fois. 

En effet, il suffit que je pense à quelque chose en montant les escaliers, et hop, je me retrouve au troisième au lieu du deuxième ou alors, éreintée par ma journée et sans le faire exprès, je m’arrête au premier au lieu du deuxième. 

Tout ceci peut arriver à des gens bien constitués. 

On est tous donc bien d’accord pour dire que de l’extérieur, vers l’intérieur, on peut se tromper de palier. 

Mais se tromper de palier quand on sort de son appartement … on est tous bien d’accord pour dire que ce n’est pas possible. 

J’étais donc sur le bon palier. 

Mais quelque chose ne collait pas. 

En analysant la scène au ralenti, je vis d’où venait le problème.  

En effet, mon voisin que je ne connais pas avait acheté un paillasson et l’avait installé devant sa porte d’entrée. 

Ce simple objet posé sur le sol avait à lui tout seul remis complètement en cause la vision que j’avais de mon propre palier jusqu’alors. 

Ce paillasson changeait tout sur ce palier. 

Ce n’était absolument pas moi qui était en train de craquer. 

J’étais sur le bon palier. 

Et ça, c’était une très bonne nouvelle quant à ma santé mentale.

L’énigme étant résolue et étant moi même rassurée sur mon propre état, je me mis en marche vers le supermarché tout en me maudissant moi-même d’avoir passé autant de temps à résoudre ce problème qui en réalité n’en était pas un. 

À ce moment là, j’espérais vivement être capable de trouver le moyen de raconter cet épisode sans y passer une demi-page car ceci serait vraiment trop de temps passé et trop de lignes écrites pour un simple paillasson appartenant à quelqu’un que je ne connais même pas. 

Je me mis donc en marche vers le supermarché. 

Je vous rappelle qu’à ce moment là, nous étions déjà en confinement, et nous ne devions, nous français, ne sortir que si nous avions des achats de première nécessité à faire et il nous était demandé de regrouper nos emplettes pour limiter le nombre de fois où nous sortions. 

Moi, qui suis assez respectueuse des lois en général et du confinement en particulier, je n’étais donc pas très à l’aise avec l’idée d’aller à Leclerc, pour le citer, pour n’acheter que de l’élastique de couture. 

Mais que pouvais-je faire ? 

Renoncer à mon achat et de fait, renoncer à mon projet de couture, et de fait, je vous le rappelle, mettre un ami en danger de mort ? 

Non, je ne pouvais pas faire ça. 

Je ne suis pas cruelle. 

C’est alors que j’ai eu une idée. 

Il fallait que je noie mon achat d’élastique à couture dans un panier d’achats de première nécessité. 

Je rédigeai donc une liste d’achats dans laquelle je glissai « élastiques », comme ci de rien n’était. 

Ma liste de produits de première nécessité dont je n’avais pas besoin étant faite, je mis en route vers ce magasin de la grande distribution. 

Par chance, il n’y avait aucune file d’attente à l’entrée. 

Arrivée à l’intérieur, je me rendis directement au rayon qui avait motivé ma venue en ce lieu : la mercerie. 

J’avais, depuis le début du confinement, déjà dépensé énormément d’argent dans ce rayon. 

Mais arrivée devant le rayonnage, ma déception fut immense. 

Il n’y avait plus le moindre rouleau d’élastique en vente. 

C’était la pénurie. 

La pénible et totale pénurie. 

Toutes les choses de ma liste de première nécessité dont je n’avais pas besoin étaient facilement trouvables dans cette boutique mais la seule chose dont j’avais vraiment besoin était en rupture de stock. 

J’étais très embêtée, vraiment très embêtée. 

Je n’allais pas pouvoir faire de masque pour Philippe et il allait certainement mourir, ce qui était vraiment très très très embêtant. 

Ne voulant pas sortir sans rien acheter de cet échoppe, je me mis donc à remplir mon tote bag en coton de toutes les choses inutiles de ma liste et je m’énervais contre moi-même de ne pas avoir le cran de ne rien prendre et d’emprunter la sortie sans achats. 

Mais que voulez-vous, être venue dans ce magasin en plein confinement et ne rien acheter, je ne l’assumais pas du tout..

Sur le chemin du retour, alors que je portais mes courses inutiles, je me mis à réfléchir au moyen de trouver de l’élastique pour fabriquer les masques. 

J’avais déjà, la semaine précédente, afin de nous pourvoir moi et mon coloc en masques, dépiauter entièrement un de mes deux draps housses afin d’y récupérer la précieuse moelle élastique. 

Je n’allais pas faire subir le même sort à mon seul drap housse survivant, mes nuits seraient devenues bien trop rêches. 

Il fallait que je trouve de l’élastique ailleurs. 

Dans lequel de mes habits pouvait se trouver de l’élastique en bonne quantité ? 

Mais bon sang mais c’est bien sûr ! 

Dans une culotte ! 

Evidemment ! C’est dans une culotte que se trouve le meilleur rapport taille-de-vêtement / quantité d’élastique. 

Mais aurais-je vraiment le cran de fabriquer pour Philippe un masque qui tiendrait devant son visage grâce à de l’élastique extrait d’une de mes culottes …? 

Et si j’avais le cran de le faire, oserais-je lui dire ? 

Non, je ne pense pas. 

Moi qui n’ai pas le cran d’aller dans un magasin sans rien acheter, évidemment que je n’aurai pas le cran de faire pour mon ami des masques à base d’élastique de culotte. 

Perdue, je décidai d’appeler ma mère au téléphone pour lui exposer mon problème.

Je lui expliquai brièvement mon projet de masque pour Philippe, le fait que je n’avais plus d’élastiques et que le supermarché près de chez moi était en rupture de stock. 

Elle comprit vite mon problème et se mit à réfléchir au moyen de me pourvoir en élastique. 

Comme je lui fis part de mon expérience passée avec le drap housse, elle me suggéra de trouver chez moi un autre objet ou vêtement contenant de l’élastique. 

Alors qu’elle réfléchissait tout haut, elle me dit dans ce qui semblait être un éclair de génie : 

- Je sais !!!! Tu prends de l’élastique dans une culotte. 

Ça c’est sûr que c’était bien ma mère et que j’étais bien sa fille.

On avait eu la même idée. 

Cependant, tout en parlant, elle se mit à fouiller dans ses propres affaires de couture qu’elle n’utilise jamais pour la bonne raison que lorsque j’ai cassé ma machine à coudre l’année passée, je lui ai pris la sienne, et de fait, elle ne peut plus coudre. 

Par chance, ou bonheur, je ne sais pas, elle trouva dans ses affaires un reste d’élastique datant surement du siècle dernier et me promit de me l’envoyer par la poste dès le lendemain. 

Je le recevrais certainement d’ici une semaine ou deux. Ou trois. Ou quatre. 

En guise de conclusion à cette conversation, elle me récita quelques vers d’un poème de Victor Hugo ou de René Guy Cadou, je ne sais plus, et nous raccrochâmes. 

Je rentrai donc chez moi satisfaite d’avoir résolu mon problème d’élastiques pour l’avenir et découpai la ceinture d’une de mes robes pour régler mon besoin d’élastique immédiat. 

Dans mon salon, je vis, posé sur mon bureau, mon ordinateur qui semblait me dire : « n’oublie pas que c’est aujourd’hui que tu dois commencer à écrire ton roman ».

Je fis mine de ne pas entendre et je me mis à découper le tissu nécessaire aux masques qui étaient eux même nécessaires à mon ami Philippe qui était lui même nécessaire à la société dans son ensemble et à ma société en particulier. 

En voyant ces beaux petits carrés de tissu qui allaient devenir un bien joli cadeau pour mon ami, je me dis que le top serait de broder sur un de ces masques, un mot, une phrase, quelque chose qui rendrait ce masque unique. 

Quelque chose qui transformerait cet objet nécessaire en un témoignage d’une amitié tout à fait sincère et personnelle.

Mais qu’est-ce que je pourrais bien trouver comme formule extraordinaire à broder ? 

N’ayant pas de réponse à cette question, je suis partie faire mon heure de marche quotidienne car en ce qui me concerne, c’est souvent en marchant que je trouve de bonnes idées. 

Oui, pour les bonnes idées, c’est comme ça que ça marche. 

Les idées pourries elles, elles viennent tout le temps. Mais les bonnes, il faut que j’aille les chercher en marchant.

Tandis que je marchais, je pensais à lui et je me suis rappelée ces moments passés, quand nous partions en tournée ensemble, mon accordéon sur le dos.

À cette époque, je l’accompagnais dans son spectacle de contes intitulé : « C’est mieux ailleurs ». 

Voilà, j’avais trouvé ce que j’allais lui broder sur son masque. 

J’allais broder « C’est mieux ailleurs ». 

Et c’est vrai que quand on vit dans une société où on est obligé de porter des masques quand on sort de chez soi, il est évident que c’est mieux ailleurs. 

Les masques terminés, je les mis dans une enveloppe, et partis les poster. 

Ils partirent ainsi vers Philippe, à Nantes. 

J’étais assez satisfaite de moi-même. 

Le lendemain, j’apprenais que Johanna Roland, maire de Nantes, allait envoyer à chaque nantais un masque en tissu réutilisable.

J’étais assez dégoutée. 

On peut dire qu’elle m’avait coupé l’herbe sous le pied.

Mais je ne lui en veux pas trop. 

Elle ne savait pas ce qu’elle faisait. 

Ainsi se termine cet épisode. C’est un peu abrupte, mais c’est comme ça. 

Je vous laisse ici, mettez moi un pouce levé si vous avez lu mon histoire vécue et qu’elle vous a plu. 

Je vous embrasse, la vie va bientôt changer. 

Et surtout, je vais bientôt commencer mon roman. 

Je vous le promets. 

Liz 

 

J'ai failli commencer mon roman
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