La vie extraordinaire d'une chanteuse normale.
31 Janvier 2022
Lorsque mon skype se mit à sonner ce jour-là, j’ignorais que la nouvelle qu’on allait m’annoncer allait me faire passer des heures et des minutes à traiter un dossier qui allait finalement finir à la poubelle.
Sans spoiler moi-même mon propre épisode, je dirais juste que ceci est la magie de nos vies professionnelles actuellement : passer du temps à préparer des choses qui n’ont finalement jamais lieu.
C’est ainsi, et il faut l’accepter car on ne peut pas le changer pour le moment.
Mais retournons dans mon bureau.
Sur skype, ce jour-là, il s’agissait de Nicolas, mon manager et néanmoins chanteur. Il est également chef de service du spectacle « Les pirates attaquent ».
Il avait deux nouvelles à m’annoncer.
La première était qu’il venait d’inscrire sur notre planning une nouvelle date pour ce spectacle.
Celle-ci aurait lieu à la fin du mois de Janvier, à Pacé près de Rennes, soit tout près de chez nous (nous habitons tous autour de Nantes, sauf un qui habite carrément dedans, salut Yannis).
Et un concert qui apparaissait inopinément sur notre planning, vu la conjecture, c’était une très bonne nouvelle.
La deuxième nouvelle, liée à la première, était un peu moins bonne car cette date « pirates » à côté de Rennes aurait lieu le lendemain d’une représentation du « Syndrome de Pénélope » qui elle avait lieu à Huningue en Alsace.
L’Alsace, la Bretagne, la Bretagne, l’Alsace …
J’allais donc jouer un soir et le lendemain après-midi, deux spectacles différents dans deux endroits différents qui étaient, qui plus est, séparés de 874 km.
Trouver deux lieux de spectacles successifs aussi diamétralement opposés en France, ce n’était pas évident.
Je n’aurai pas pu, moi-même l’inventer.
Mais ceci était bien en train de se produire sous nos yeux ébahis voire désespérés.
Le peu de concerts et spectacles que nous faisons actuellement pourraient rendre ce genre de situations géographiquement difficiles inexistantes. Mais le fait est que ce n’était pas le cas.
Même en faisant très peu de concerts, apparaissaient toujours sur nos feuilles de route des trajets improbables, avec des levers très très tôt et des billets de trains et d’avions qui coûtaient très très très chers.
Souvent plus chers que mon salaire. C’était ainsi.
Avant de confirmer quoi que ce soit auprès de l’organisateur de Pacé, Nicolas voulait s’assurer auprès de moi, que cet enchaînement de causes et d’effets étaient physiquement bien réalisables pour une personne comme moi, dont la constitution physique n’a pas toujours été au rendez-vous ces derniers temps.
Ne rechignant jamais sur le travail salarié, surtout en ce moment, je décidai en consultant mon application caisse d’épargne que j’allais faire ces deux spectacles successifs, par la porte ou par la fenêtre, ou peut-être par avion.
Il fallait donc que je traverse la France d’est en ouest, le plus rapidement possible, un dimanche matin.
Nous étudiâmes alors les transports qui étaient à notre disposition pour que je puisse effectuer cette grande traversée.
Le train aurait été le moins onéreux, mais vue la durée du trajet, quand je serais arrivée à Pacé, mes collègues pirates aurait eu fini de ranger le matériel et j’aurai loupé le spectacle.
Ce qui n’était absolument pas notre but.
Le concert pirate avait lieu le dimanche 30 Janvier à 15h.
Peut-être pourrais-je quitter Huningue, seule et en voiture dès la fin de la représentation du « Syndrome de Pénélope ».
Nicolas me demandait alors à quelle heure nous jouions ?
Je lui répondis
- Nous jouons le Samedi 29 Janvier à 19h.
Il me dit :
- 19 h ? Mais qu’est-ce que c’est que cet horaire ?
(C’est vrai que 19h, ce n’est pas un horaire habituel pour nous. Nous, les chanteurs pour enfants nous sommes plutôt habitués à jouer à 10h le matin ou à 15h grand max l’après-midi et quand je revêts ma peau de chanteuse de variétés françaises, je suis plutôt abonnée aux 20h30-21h. C’est vrai que 19h pour nous, c’est pas commun).
Je vérifiais alors mes informations, mais c’était bien ça que j’avais noté, nous jouions à 19h.
Je lui confirmai donc.
- On joue bien à 19h.
Il me répondit :
- 19h ? C’est vraiment bizarre la danse contemporaine.
Oui, c’était bizarre, mais c’était comme ça.
Nous avons alors imaginé que je loue une voiture en Alsace et que je prenne la route seule après la représentation.
Je dormirai seule, à mi-chemin et je reprendrai la route le lendemain matin.
Cette perspective ne m’enchantait guère.
J’aime bien conduire en écoutant des podcasts, mais après un spectacle, en règle générale, comme je me donne beaucoup, je me retrouve dans un état physique assez totalitaire et je ne me pense pas capable dans cet état, de prendre la route.
Le plus simple pour traverser la France, même si ce n’est pas le plus écologique, vous en conviendrez, c’était de prendre l’avion.
Par chance, il y avait un aéroport tout prêt de Huningue, celui de Bâle-Mulhouse.
Je n’y étais jamais allée et je me réjouissais d’avance de découvrir cet endroit dans lequel j’allais sûrement pouvoir me payer un café à 6,50 euros ou plus.
Néanmoins, je ne suis pas une grande fan de l’avion, j’ai toujours peur d’y mourir. C’est comme ça.
Par chance, je ne le prends que peu pour les tournées, nos voyages inter-France ne justifiant que rarement ce mode de transport.
Mais là, il n’y avait pas trop le choix. La distance était grande et le temps imparti pour effectuer ce trajet était assez court.
Il me fallait ravaler mes angoisses de mort imminente et accepter de voyager en avion.
Nicolas tapota sur son clavier. Il cliqua de-ci de-là. Sa recherche n’était pas évidente car un trajet Bâle-Mulhouse vers Rennes, un dimanche matin n’était pas très couru. Il me faudrait faire une étape et changer d’avion.
Il finit tout de même par trouver quelque chose qui rentrait dans nos cases.
Il me dit :
- Alors tu peux prendre un avion à 6H50 à Bâle-Mulhouse, tu arrives à Paris Charles de Gaulle à 7h40. Là, tu attends 4h et tu prends un autre avion à 12h10. Tu arriveras à Rennes à 13h15.
Le lieu de notre spectacle du dimanche était situé à 20 minutes en voiture de l’aéroport.
C’était tout à fait jouable puisque nous jouions à 15h, je vous le rappelle.
Ce jour-là, je me serai donc levée à 5h du mat pour jouer, 10h plus tard, à une heure de chez moi, et ça, c’était la magie de la tournée.
Nicolas était tout de même embêté à l’idée que je sois obligée de passer 4h à attendre à Charles de Gaulle.
Il me dit :
- C’est quand même chiant ces horaires, tu vas te lever hyper tôt et tu vas attendre 4h, comme une conne à l’aéroport.
Je rectifiai tout de suite ces propos :
- Ah non, Nico, sache que je n’attends jamais 4h comme une conne. J’attends comme une reine.
Rassuré, il me dit :
- Ah bon ! Bah ouf !
Dans la vie, tout est une question de point de vue, vous en conviendrez.
Et puis, passer 4h seule dans un aéroport ne me fait pas peur.
Seule, je ne m’ennuie jamais.
J’ai une bonne activité cérébrale qui fait que j’ai toujours un sujet sur lequel réfléchir.
J’ai toujours un épisode de blog à écrire.
J’ai toujours une fiche de lecture à faire sur un livre traitant de physiologie humaine ou de féminisme.
J’ai toujours un module à rattraper sur ma formation sur la pré-ménopause ou sur ma formation sur le syndrome pré-menstruel.
J’ai toujours un texte de chanson auquel il manque quelques rimes.
J’ai toujours des mails chiants auxquels je dois répondre.
J’ai toujours un podcast de développement personnel ou d’histoire de crime à écouter.
4h franchement, c’était presque un peu court pour que je puisse faire tout ça.
Nicolas était tout de même embêté par ce périple.
Moi, ça ne me posait pas de problème particulier.
Une heure plus tard, je reçus un texto comme quoi il venait d’acheter les billets d’avion et il me remerciait d’accepter de faire ces deux vols pour venir jouer « Les pirates attaquent » avec lui.
Je lui répondis que je le remerciais de me faire travailler.
Lorsque nos remerciements mutuels furent terminés, j’eus la satisfaction immense d’avoir réglé un dossier important.
La suite de l’épisode allait me prouver que j’avais totalement tort.
Suite dans la partie 2