J'irai jouer sur une scène en pente

Alors que nous étions dans le camion de tournée de L’Alliance, Jérôme, mon technicien son, s’est tourné vers moi avec une tête d’enterrement.
Je n’aimais pas cette tête. 
Mais j’aimais beaucoup Jérome. 
Il m’a dit :
- Tu es au courant pour Etampes ? 

De quoi me parlait-il ? 
Alors oui, j’étais au courant qu’on jouait à Etampes le 3 Février, mais ça, on l’était tous depuis au moins 6 mois. 
Au delà de cette information, non, je n’étais pas au courant.

Et, vue la tête qu’il faisait, je me suis dit que cette chose, dont je n’étais pas au courant au sujet du concert à Etampes, était une chose qui n’allait sûrement pas me faire plaisir. 

Je lui ai donc dit : 
- Non, je ne suis pas au courant pour Étampes. 

Je lui ai ensuite fait un grand grand sourire avec mes grandes grandes dents, (ces mêmes dents qui m’ont causé tant de moqueries à l’adolescence, mais ce n’est pas du tout l’objet de ce post), un grand grand sourire, disais-je, comme si la taille de mon sourire pouvait, par la puissance de son intention, diminuer la mauvaise nouvelle qu’il s’apprêtait à m’annoncer. 

Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit :
- A Etampes, la scène est en pente. 

Oh punaise !!!
Ça n’avait rien d’une contrepèterie. 

Je lui ai dit : 
- En pente ?
Il m’a dit : 
- Oui, en pente. Une pente de 6 % . 

Oh punaise de punaise !!! 

Ainsi, je comprenais le pourquoi du comment de sa tête d’enterrement.

J’avais déjà joué dans ma vie sur des scènes en pente et ça ne m’avait pas posé de problèmes particuliers.
Juste une sensation bizarre. 

Mais là, avec L’Alliance, une pente de 6 % allait véritablement nous poser des problèmes. 

Si vous avez vu L’Alliance, vous devez comprendre à quels problèmes je fais allusion. 

Si vous ne l’avez pas vue, je m’en vais vous exposer ces dits problèmes. 
Le premier problème est que L’Alliance est un concert sur roulettes. 
En effet, notre scénographie est basée (entre autres choses) sur des mouvements fluides de deux grands panneaux roulants. 
Mon clavier est également monté sur roulettes, ce qui me permet de le déplacer avec grâce, élégance, légèreté, finesse et j’en passe. 

Voyez vous donc ... 

Sur une scène plate, quand on pousse le décor, il roule, quand on arrête de le pousser, il s’arrête pile à l’endroit où il doit s’arrêter et il ne bouge plus. 

Refaisons la même chose, à la même vitesse, sur une scène en pente de 6% : on pousse le décor (ou le clavier, le cas échéant) il roule, on arrête de le pousser, il continue de rouler, jusqu’en bord de scène, et une fois en bord de scène, avec le poids, il bascule sur les gens du premier rang. 
Et ça c’est embêtant. 
Vraiment très embêtant. 

Avec nos éléments roulants, on risquait bien à Étampes de tuer les gens du premier rang. 

Que faire ? 
Annuler cette date ? 
Brader les places du premier rang ? 
Les donner même ? 
A des personnes suicidaires peut être ...? 
Ce qui leur enlèverait au passage une belle épine du pied ! (mais ce n’est pas du tout le but de L’Alliance)

Le second problème est que L’Alliance est un concert chorégraphié et que je n’avais encore jamais dansé sur une scène en pente. 
Comme tout ce que je ne connais pas me fait très peur, cet inconnu n’échappait pas à la règle. 
J’avais peur que danser sur une scène en pente soit difficile, voire impossible, voire dangereux. 
Notamment le moment ou Cyrille me porte et me met la tête en bas pendant la reprise de Claire Diterzi, je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait s’il était déséquilibré à ce moment là … 
enfin si … j’imagine … c’est pas jojo, et ça met beaucoup de gens au chômage. 

Je risquais donc potentiellement de mourir si on dansait sur une scène en pente.
Et ça aussi c’était un sérieux problème. 

Cette situation me paraissait donc fort dangereuse, et, à ce moment là, dans le camion, je me demandais bien si prendre autant de risques pour le public et pour nous même en valait vraiment le coup. 

Avec ma capacité légendaire à toujours faire face et à toujours essayer de trouver des solutions aux problèmes, j’ai regardé Jérome, en fronçant les sourcils et j’ai dit : 
- L’Alliance sur une scène en pente, c’est pas possible. Je crois qu’il faut qu’on annule. 
Il m’a dit :
- ok, c’est toi qui décides. Mais avant d’annuler, on va quand même essayer de réfléchir à des solutions, non ? 

Il avait raison, il valait mieux réfléchir. C’eut été dommage d’annuler un concert. 

Au sortir du camion, j’ai téléphoné à Hervé Maigret (le chorégraphe de l’Alliance que j’avais rebaptisé pour l’occasion « Hervé Maigret Assistance » ) pour recueillir son avis sur la question. 
Je lui ai donc demandé si, selon lui, il était possible de danser sur une scène en pente sans risquer de se casser la gueule tous les trois pas. 
Et là, surprise ! 
Pour lui, une pente de 6 % ne représentait pas de danger particulier. 
Apparemment, le corps qui danse dans pareil cas, compense … même le mien. 
Bon c’était toujours ça de pris ! 
Il me conseilla tout de même d’arriver fort tôt dans cette salle pour que nos corps frêles et néanmoins musclés s’habituent à la pente du plateau. 

Il ajouta : 
- Par contre, le gros problème, ça va être vos panneaux roulants. 

Là, on était bien d’accord. 

Comment faire? 

C’est Nicolas, mon manager, qui proposa une solution et elle était assez simple. 
On n’allait tout simplement pas utiliser les panneaux, et pour le clavier roulant, qu’on ne peut pas exclure du concert, on allait simplement lui dévisser les roulettes et il deviendrait pour Étampes le premier clavier roulant qui ne roule pas. 
J’étais mitigée par sa proposition ... J’étais embêtée de me dire qu’à Etampes les gens verraient le concert sans la scénographie habituelle. Je trouvais ça pas très égalitaire par rapport aux autres salles et aux autres publics. 

Mais Nicolas sut trouver les mots justes pour me convaincre de jouer envers et contre tout, enfin plutôt en pente et contre tout. 
Il me rappella que la scénographie du concert, bien que magnifique et fluide, était un joli emballage de L’Alliance mais que ce qui importait avant tout c’était que le noyau dur du concert, à savoir les chansons et leur bilinguisme, soient bien là. 
Et ce sera bien évidemment le cas. 

Il ajouta : 
- Tu sais, les gens d’Etampes, ça m’étonnerait qu’ils sortent du concert en disant « Dis donc, ce concert manquait un peu de panneaux roulants !”

Bah non, il avait raison, on ne dit pas ça en sortant d’un concert. 

Et puis, il valait mieux voir le concert sans roulettes que ne pas voir le concert du tout. 

Nous décidâmes donc qu’à Étampes, les gens verraient le concert quoi qu’il advienne, et que ce serait pour eux comme pour nous un concert unique ! 

Alors rendez-vous à Etampes le 3 Février pour une Alliance d’une stabilité exemplaire avec aucun homicide à l’horizon. 
Nous jouerons à 17h parce que c’est un dimanche. 

Je vous embrasse Morvan non, il n’est pas dispo, je ne sais pas pourquoi et ça m’énerve un peu. 

Liz